Politiques criminelles et engagements bénévoles en Europe
Cest pour échanger et réfléchir sur ce thème que le forum européen de politique criminelle appliquée a réuni une forte trentaine de bénévoles et professionnels impliqués dans ce domaine en mai dernier à Strasbourg.
Dans son exposé introductif Wolfgang KRELL, le Président du Forum montra comment l’engagement des citoyens progresse et évolue en réponse aux problèmes qui se posent dans les sociétés européennes. Le concept de » société civile européenne », né à la fin de la deuxième guerre mondiale émerge de plus en plus, devenant une sorte de mode mais tarde à se matérialiser dans la réalité. Bien que les règlements et recommandations des autorités européennes se fassent sentir de plus en plus dans notre vie courante la société civile européenne est perçue comme le lobby qui s’est organisé à l’ombre des autorités bruxelloises. Pourtant la nécessité de l’engagement des citoyens s’impose de plus en plus dans une Europe marquée par la perte des valeurs traditionnelles, la fin de l’état-providence, l’avènement du chômage de masse et l’exigence de plus de démocratie.
La ville qui accueillait le colloque devait permettre de s’approcher de cette double réalité européenne, celle des Etats et celle des citoyens.
Une visite à la Cour Européenne des Droits de l’Homme et au Comité de prévention de la Torture s’imposait. Les participants au colloque furent reçus par Mme TULKENS, une juriste représentant la Belgique dans cet organisme où chacune des 47 Nations qui le composent disposent d’un siège égal en droit et dignité à celui de tous les autres. On peut y voir l’Europe des gouvernements si souvent décriée car loin des peuples. Mais c’est aussi le lieu où chaque citoyen européen a la possibilité de faire valoir ses droits s’il a épuisé tous les recours possibles dans son pays d’origine. Les visiteurs de prison français sensibles à ces questions peuvent se réjouir du fait que les autorités françaises qui ont longtemps semblé accueillir les fortes critiques du représentant du Comité de prévention de la Torture avec dédain ont décidé de mettre en œuvre un certain nombre de ses recommandations et de désigner dans chaque prison un » référent RPE » (règles pénitentiaires européennes). D’ ailleurs on apprit durant le colloque la nomination du Contrôleur des lieux d’enfermement qui avait tant tardé jusque-là (et ce durant le séjour en France d’un représentant du CPT).
Une autre visite intéressante se déroula dans les locaux d’ACCORD 67, une association subventionnée par les autorités régionales françaises et allemandes intervenant sur des problèmes juridiques auxquels se heurtent les détenus des deux côtés du Rhin de Saarbrücken à Mulhouse. Henri EICHHOLTZER, délégué régional et vice-président de l’UFRAMA (Union Nationale des Fédérations régionales des Associations de maisons d’ Accueil de Familles et Proches de personnes incarcérées) et Matthieu RISCH, salarié de Caritas Alsace responsable du secteur prison évoquèrent le travail des bénévoles auprès des proches de détenus dont on évalue le nombre à environ 600 000 personnes en France (10 proches pour un détenu) qui subissent les conséquences morales, psychologiques et matérielles de l’emprisonnement de l’ un des leurs. L’UFRAMA est actuellement engagée dans une discussion avec l’administration pénitentiaire pour que ces familles continuent à être accueillies par des bénévoles (et non simplement dans les locaux et par le personnel de l’administration pénitentiaire, comme il est prévu dans les projets de nouvelles constructions). Quant à Caritas Alsace elle frappe par les moyens apportés à l’accueil de la maison d’ arrêt de l’Elsau : deux salariés ( dont Matthieu Risch lui-même) animant 40 bénévoles permettant entre autres à des bébés de moins de 18 mois de mères détenues d’ être promenés en ville et confiés pour quelques heures à une halte-garderie. Notons au passage que Caritas Alsace avec ses 10 salariés pour quelque 1 500 bénévoles se rapproche, par sa structure et ses moyens, des Caritas allemandes (ceci en raison du statut concordataire en vigueur en Alsace).
Les participants au colloque avaient là l’illustration de l’engagement des bénévoles auprès des familles des détenus. Le matin de ce même jour, après l’introduction de Wolfgang KRELL ils avaient entendu à travers l’exposé du Professeur Günter RIEGER de l’académie de formation professionnelle de Stuttgart une réflexion de fond sur la nécessaire collaboration des professionnels et des bénévoles engagés dans la recherche de la paix sociale. Il parlait d’expérience : ancien assistant social à la prison de Stuttgart-Stammheim il est actuellement engagé comme bénévole ( à côté de son activité d’ enseignement) dans la plus importante association chargée de la probation dans le Land de Baden-Württemberg. Un constat s’impose : dans tous les pays européens les questions sociales en général, la sécurité en particulier, sont de plus en plus assumées par des professionnels. Mais pour le professeur Rieger une politique criminelle libérale et démocratique ne peut reposer que de façon limitée sur la répression. Pour que la politique criminelle puisse aboutir à des résultats tangibles les démocraties doivent reposer sur un » capital social » fait de relationnel, d’agir en commun au sein d’initiatives et d’associations, dans le voisinage et la collectivité. Plus précisément les bénévoles peuvent mettre leur expérience, leur expertise, leur disponibilité au service de la politique criminelle à condition que les professionnels sachent faire appel à eux dans des sortes de » joint ventures ».
Les témoignages sur l’engagement de bénévoles dans les prisons de cinq pays européens se succédant en une seule matinée illustrèrent les liens existant entre la société civile d’un pays donné et son système pénitentiaire. On comprit ainsi que dans le Canton de Berne, en Suisse, pays à forte tradition citoyenne où 75% de la population est engagée dans une association quelconque (le tiers de ces associations étant d’intérêt public) chaque détenu qui en fait la demande (mais cela devient la règle en période probatoire) est suivi par un seul bénévole qui en devient le tuteur en vue de sa réinsertion dans la société (en particulier dans la recherche de logement et de travail). Gabriela IMHOF (qui a présenté le rapport sur la réalité suisse) est ainsi responsable avec une autre salariée du recrutement et de la formation (2 heures de formation) des quelque 200 bénévoles qui s’ engagent dans ce service de probation qui comprend en outre 7 travailleurs sociaux professionnels.
A Düsseldorf, dans le Land allemand de Rhénanie du Nord- Westphalie, c’est une association fondée en 1893 et comprenant 6 membres professionnels et 70 bénévoles qui œuvre en faveur des détenus et de leurs familles. Cette association impose également une formation aux candidats à raison de dix soirées en début d’année. A côté des entretiens individuels avec des détenus elle anime de nombreux groupes de formation et de loisirs, déchargeant d’autant les professionnels de l’administration et justifiant qu’elle dispose de locaux à l’intérieur de la prison.
L’activité des bénévoles français a été présentée par Raphaël BONTE, vice-président de l’ANVP qui regroupe environ les deux-tiers des 1 500 visiteurs de prison. Cette structure laïque, beaucoup plus légère en terme de moyens (deux salariées au siège national) s’assigne surtout un rôle d’animation et de témoignage dans une société hantée par l’insécurité et sensible au traitement médiatique de certaines affaires criminelles. Les visiteurs de l’ANVP établissent quasi exclusivement des liens personnels avec des détenus et sont peu impliqués dans des activités de groupes (ce qui ne leur est pourtant pas interdit à titre individuel).
Le statut des visiteurs de prison belges est assez proche du précédent avec la différence notable qu’ils ne bénéficient pas du soutien d’une association comme leurs homologues français. Leur engagement n’en est que plus exigeant. Claire CAPRON s’efforce de susciter un début de collaboration et d’organisation en Wallonie au moyen d’un sondage lancé auprès des visiteurs avec quelques amis, dont le succès met à jour une volonté de sortir de l’isolement.
La République Tchèque quant à elle reste marquée par son passé. Jusqu’à une période récente le bénévolat était dévalorisé car il renvoyait à une période durant laquelle les activités volontaires et d’utilité publique étaient considérées comme une tentative d’améliorer son profil politique ou même de faire carrière. Aujourd’hui le bénévolat jouit de plus de considération, suite notamment aux inondations catastrophiques de 2002 où il a été beaucoup fait appel à lui. Mais en ce qui concerne l’administration pénitentiaire les aumôniers sont les seuls intervenants extérieurs à qui on a accordé l’accès à l’intérieur de la prison. Pour le reste on fait surtout appel aux bénévoles dans le cadre de la prévention et la réinsertion après leur peine.
Il est impossible de résumer de façon satisfaisante la richesse de chaque contribution. Peut-être que ces quelques lignes auront mis les lecteurs en appétit pour consulter les actes du colloque qui seront consultables sur le site du forum. Encore ceux-ci ne pourront-ils rendre compte de la richesse des rencontres individuelles que permet un séjour en commun de trois jours dans une ville et un centre culturel assurément très accueillant.
René Foltzer
Association Nationale des Visiteurs de Prison Mulhouse